Souvenez-vous, nous avons tenté dans un article précédent de
comprendre le divorce entre valeurs et faits que la Science moderne a produit.
On ne peut compter sur la science pour répondre à nos angoisses existentielles
... mais qu'en est-il de notre époque moderne? Comment notre monde dans lequel
la Science est reine peut-il s'accommoder de sa froideur sur le plan des
valeurs?
Je tiens à préciser avant tout, contrairement à la première
partie, j'expose ici surtout mon avis personnel. Oui, je me cache d'entrée de
jeu derrière le masque de "l'opinion personnelle" car la rédaction de
cet article dérive en partie de mon énervement face à plusieurs aspects de la
recherche scientifique aujourd'hui.
Entrons dans le vif du sujet. Le divorce entre valeurs et
Nature produits par la Science moderne est-il toujours d'actualité? La Science
est-elle toujours aussi muette sur le sens ou la morale? Il me semble
personnellement que oui. En effet, même en connaissant parfaitement les
théories en vogue sur l'origine de l'univers, cela ne répond absolument pas à
la question "d'ou venons-nous?"
Ouvrir un livre sur le Big Bang ne résout pas notre angoisse existentielle. Même
pire, ne vous est-il jamais arrivé de vous sentir envahi de questions après la
lecture d'un livre d'astrophysique? Il en va de même pour les questions "Où va-t-on?" et "Qui est-on?". En effet, comprendre
que nous ne sommes qu'un tas d'atomes assez bien agencés pour pouvoir se
mouvoir, parler et jouer de la trompette ne nous indique pas vraiment ce qui
fait que ce "tas d'atomes" est un Homme. Il est pour moi important de
bien admettre la séparation survenue il y a trois siècles entre Science et
Morale. Ou, disons-le, entre Science et Religion. Si la Religion ne peut prétendre avoir un discours logique sur le
monde, la Science ne peut prétendre nous indiquer quel est le sens de notre existence (1).
Mais alors? Quelle est la cause de l'omniprésence de la
Science dans notre monde?
Pourquoi la mention "Scientifiquement
prouvé" nous convainc que telle crème effacera toutes les rides de notre
visage en seulement 2 mois? Selon moi, la principale force de la Science réside
dans sa capacité de prédiction. Un scientifique émet des hypothèses testables avec
des expériences qui pourront être reproduites par d'autres scientifiques. Cette
apparente unité objective de la Science en fait un instrument de choix pour
interroger la Nature, mais aussi la contrôler.
En effet, il était impossible de créer
le scanner ou la bombe atomique sans avoir préalablement compris les lois de la
physique atomique. Bref, la Science doit sa place dans notre monde à sa
formidable capacité de création de biens
en tous genres dont le but est de guérir / produire / communiquer ... mais aussi tuer / surveiller
/ contrôler. On parle aujourd'hui de techno-science
pour qualifier les applications de la Science. Parfois c'est même pire: La
Science n'est évaluée que par son utilité matérielle dans notre société. Pour
le dire autrement, il faut que ça serve à quelque chose!
William L. Brown Photo Credit |
En effet, il est impensable aujourd'hui de demander un
financement sans démontrer en quoi notre futur projet va être utile. Évidemment, dans une société
capitaliste, utilité = argent ... C'est d'autant plus intrigant que ce mode de
pensée s'est généralisé! En effet, jeune thésard en biologie
évolutive, combien de fois m'est-il arrivé d'être confronté à l'incompréhension
de mon interlocuteur lorsque j'explique mon projet de doctorat ... qui n'a
aucune application! La question arrive très rapidement: "mais au fond ça sert à quoi ce que tu fais?". Je suis abasourdi à chaque
fois que j'entends ça. Comme si le projet
de rendre le monde plus compréhensible n'était plus une valeur en soi. De
toute évidence, la seule valeur qui prime aujourd'hui c'est la valeur
marchande. Le scientifique n'a qu'à se mettre à la page (aux brevets ...) ou
disparaitre!
Notre société a un rapport particulier avec la Science
pouvant se résumer brutalement par Science = applications (= argent).
Vous me
direz, mais quel est le rapport avec les valeurs humaines du post précédent? Et
bien, si on accepte que les applications que produit la Science peuvent servir à des fins idéologiques ou
politiques, et que l'on confond la Science avec ses applications, alors il est
facile d'attribuer un sens et des valeurs à la Science. Pour le dire autrement,
le fait scientifique devient l'objet du
jugement et des passions.
Prenons un exemple concret: la génétique de
l'homosexualité. Chercher à décortiquer les déterminants de l'homosexualité
revient à essayer de distinguer l'apport environnemental (éducation) de celui
des gènes. Peu importe le résultat, il n'est que l'expression de la Nature. Il
n'y a pas à juger ou pas ce résultat. Pour autant, beaucoup ne s'arrêteront pas
là et émettront un jugement de valeur sur le résultat. Selon l'importance que
prend l'ADN dans le déterminisme de l'homosexualité, on va trouver cela bien
ou mal,
alors qu'il n'y a là qu'une froide vérité scientifique. Ne nous cachons pas, on
sait pertinemment pourquoi on juge. Car on fait le raccourci extrêmement rapide
(et parfois inconscient) de la Science et son application. Ici, l'imaginaire
collectif nous dit que ce qui est génétique ne peut être déconstruit,
contrairement à ce qui est environnemental.
On plonge de plein pied dans la politique et l'idéologie.
La morale et les valeurs se cachent bien souvent derrière l'action. Si la Politique est la discipline
de l'action, la Science n'est faite que de réflexion. Il est important de ne
pas perde de vue cette frontière. Lorsque l'on cherche de l'action
(sous-entendu un pouvoir moral) dans un fait scientifique, on a déjà franchi
cette frontière. Il est selon moi important de relativiser les découvertes
scientifiques dans notre société et de bien les séparer de ses implications
politiques. Cependant, si le scientifique se doit d'interroger la Nature sans
la juger, il se doit de ne pas perdre de vue l'impact moral de son travail sur
la société. Et puis, il arrive parfois que le scientifique lui même se laisse
abuser par ses passions et ses affects, pour le meilleur ... ou pour le pire!
(1): Gould l'a rappelé dans son principe du NOMA (Non-Overlapping
Magisteria): Il ne faut pas confondre "notre pulsion à comprendre le caractère factuel de la
Nature (c'est le magistère de la Science), et notre besoin de trouver du sens à
notre propre existence et une base morale pour notre action (le magistère de la
Religion)"
Pour aller plus loin:
- Jacques Monod, Le
Hasard et la Nécessité (1973)
Edition du Seuil.
- Etienne Klein, Galilée
et les indiens: Allons-nous liquider la Science? (2008) Flammarion.
- Stephen Jay Gould, Et
Dieu dit "Que Darwin soit!" (1999). Edition du Seuil.
- Un exemple de confusion entre Science et idéologie décrit pas cet article de l'AFIS.
bravo pascal, pour ta prise de position et tes explications!!!!
RépondreSupprimernicole Labatut
"l'imaginaire collectif nous dit que ce qui est génétique ne peut être déconstruit, contrairement à ce qui est environnemental" Je t'aime!
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerTrès bon post!
J'ajouterais juste que ce divorce entre faits et morale dans les sciences, c'est à dire l'amoralité des sciences (j'ai pas dit immoralité hein!), est une condition d'existence de la démarche scientifique, sans quoi un scientifique ne chercherait qu'à valider ses idées préconçues...
Sauf que c'est souvent ce que font les scientifiques, qui après tout sont aussi des humains comme les autres (mais si...)... Mais alors d'où vient le divorce finalement? C'est le caractère collectif qui permet l'objectivation: quand plein de scientifiques différents issus de cultures différentes avec des a priori différents s'intéressent au même sujet, le consensus qui fini par émerger (dans le meilleur des cas) peut se détacher de ces a priori moraux et s'approcher d'un regard objectif.
Désolé d'avoir été un peu long et encore bravo pour tes posts!
Pierrick
Merci pour le commentaire ;)
SupprimerAbsolument d'accord avec ton analyse que, si le scientifique est subjectif et empreint de morale, la Science peut être amorale parce qu'elle représente le consensus de cette multitude de morales (culture) différentes.
Bonjour,
SupprimerL'objectivation existe-t-elle ?
L'homme pense par et avec le langage, hors que l'on soit maori ou français, on est soumis aux même limites sémantiques (certes avec des différences d'une langue à l'autre, mais ça reste du langage). Donc que l'on soit maoris ou français, il n’est pas éliminable que l'on adresse les même problèmes avec les mêmes œillères. Ces œillères étant propre à la façon de penser de l'homme et non détachable...
Enfin, vous avez précisé "s'approcher" d'un regard objectif, donc je pense qu'on est d'accord ^^.
Et je suis sur qu'on est d'accord sur le "fait" que c'est un très bon article : )
Ton article est vraiment bon et merci pour cette prise de position. Etudiant en Master en écologie évolutive je travaille sur les fourmis et les mutualismes. Un sujet dont peu comprennent l'intérêt au premier abord !
RépondreSupprimerAu plaisir de te relire
Merci beaucoup pour cet article qui m'a personnellement beaucoup éclairé, et, logiquement, beaucoup plu :) Connaître ton avis change et je trouve tes réflexions tout à fait justes et justifiées. Vraiment, merci.
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